Pastiche : A la manière de la Bruyère

Ce texte a été composé lors d’un atelier écriture sur le thème « Ecrire comme ».

Pandémis se plaint en permanence d’une santé délicate. Il n’est bien que lorsqu’il est mal et ne se porte jamais mieux que lorsqu’il vient de se découvrir une nouvelle maladie. Chaque matin, il passe plus de temps à s’examiner le blanc de l’œil, à scruter ses urines et le fond de sa gorge qu’à s’occuper des soins ordinaires de sa toilette. Il est donc en retard. Il pourrait se lever plus tôt ? impossible, il souffre d’insomnie chronique, il doit prendre des somnifères et n’arrive plus ensuite à se réveiller. Il avale alors un excitant, un fortifiant et quelque autres médicaments. Il arrive au travail tard, les yeux bouffis, le teint brouillé. Sa mise désordonnée et ses traits tirés devraient lui attirer la commisération de ses collègues mais il y a longtemps déjà que ses collègues n’osent plus lui demander comment il va !

Il souffre d’acné juvénile depuis trente ans, d’angine virale de temps en temps, d’atonie intestinale , de botulisme aggravé, de cataracte rugissante, d’appendicite récidivante, de cachexie romantique, de fièvre purpuérale, d’emphysème passager, d’achromatopsie récurrente. Il aurait bien d’autres maladies encore s’il n’avait égaré le deuxième tome de son dictionnaire médical car il souffre d’amnésie régressive episodique. Il prend des gélules pour soigner son angine : elles lui donnent la migraine. Il avale alors des cachets antalgiques : ils lui font mal à l’estomac. Les pansements gastriques le constipent. Les gouttes laxatives lui relâchent l’intestin. Les suppositoires antidiarrhéïques ?…il essaie ce soir ! Hier encore, son fibrome utérin le torturait, mais il vient de découvrir qu’il s’agit là d’un mal féminin. Le choc de cette découverte l’a plongé dans une asthénie violente qu’il tente de combattre par des anxiolytiques en attendant de convaincre son andrologue de le soumettre à une «I.R.M.»

Il dort sur le côté droit afin de soulager sa déficience cardiaque, mais il se réveille en pleine nuit tout ankylosé. Il secoue son épouse pour lui annoncer qu’il est paralysé. Il la fait courir à la pharmacie dés l’ouverture pour chercher un fauteuil roulant. A son retour, il n’a plus besoin de fauteuil. Il a découvert sur Internet qu’il souffre du syndrome de Charcot et que d’ici peu, il ne bougera plus que les paupières. La maladie met du temps à se déclarer. Son épouse s’inquiète, se ronge les sangs et finit par développer un ulcère. Elle doit se faire enlever une partie de l’estomac. Il ne peut aller la voir à l’hôpital, le risque de maladie nosocomiale est trop grand et il redoute que son syndrome ne le terrasse dans l’autobus. Sa femme meurt sur la table d’opération. Elle allait avoir quarante ans. Il est très affecté mais demande avant toute chose si elle était contagieuse. N’accordant aucune confiance dans les dénégations des spécialistes, il préfère brûler tous les souvenirs de son épouse et déménager. Il en profite pour se rapprocher du laboratoire d’analyse qu’il fréquente assidûment. Ainsi, il peut à tout moment obtenir un bilan exact de sa santé, mais chaque résultat positif, loin de le rassurer, ne fait qu’accroître son angoisse devant l’incapacité des spécialistes à trouver ce dont il souffre et ouvre la porte à une série d’examens complémentaires qui, eux aussi, en appelleront d’autres.

Sa vie entière sera donc désormais consacrée à souffrir les mille tourments de la médecine pour s’éviter ceux de la maladie. Il pourra peut-être ainsi prolonger une existence qu’il passera à souffrir mille morts dans le but d’en reculer le terme.

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