C'est une histoire de papillon, de nuit et de samedi

Texte récompensé par le prix Philippe Delerm 2003. Publié dans le recueil Nouvelles 2003, aux Editions du Valhermeil

Prix Delerm 2003 C’est une histoire
de papillon,
de nuit
et de samedi...
Prix Delerm 2005 Prix Delerm 2009

C’est une histoire de papillon. De nuit. Pas de papillon de nuit. De papillon d’un jour toujours. Et pas de nuit qui déguise, qui maquille, qui transforme les lucioles. Non. Une vraie nuit qui dévoile et qui envole, une nuit à larguer les amarres. Une nuit de plus, une nuit denoue...

Pas un papillon de nuit. Même pas un papillon, d’ailleurs. Ou si, un papillon d’ailleurs. Un papillon de pas encore, de bientôt samedi. Un papillon sur la margelle.

Un papillon d’été dans le Tarn. Des pierres blanches et trois fois rien de bonheur au fond d’une cour, absente, sans toit, jusqu’à samedi

Donc la cour est close. Et fraîche. Tellement. Tellement qu’on la dirait glacée. Parce que c’est un été chaud du Tarn. Mais juste on dirait.

Donc la cour est close. Fermée, barricadée. Protégée du risque et du trop vivant. Juste de la vie familière, des rires d’enfants, des mots griffonnés, des tartes aux prunes. Et des fleurs. Pas des géraniums. Des sauvagines apprivoisées qui escaladent la margelle d’un puits.

La cour est close hormis le ciel et le puits.

Le pas encore papillon est là, on ne sait pourquoi, sur la pierre blanche. On ne sait comment. Comment il pourra devenir papillon. Il n’est qu’une chose fragile et caparaçonnée, un missile oublié. Une nymphe au bord d’un puits.

Parce que la cour n’est pas vraiment fermée. Pas vraiment même si on dirait que. Même si elle fait tout pour qu’on dise que. Il y a le ciel et l’eau, le feu du soleil et la terre des ancolies. Il y a la vie familière, les cris, l’encre, les noyaux de prune et les samedis avenir.

Il y a le ciel, il y a la nuit, il y a la lune et le feu des possibles. Pas de toit pour l’émoi de la chrysalide à la presque lune argentée.

C’est lui qui la réveille et lui dit : « Va, vis, n’aie pas peur, papillon lune ou papillon comète, seule la mort est éphémère. »

Le jour se lève sur la margelle, dans la cour ouverte au ciel. Du blanc et du sang. La nymphe explose, le corps se remplit d’air, mais les ailes sont encore mortes. La vie reprend, le facteur glisse une lettre et ça sent le chocolat barbouillé. Il ne faut pas que tu me touches à ce moment de ma métamorphose. Il ne faut pas que tu me mettes à mort d’un effleurement impatient. Il me faut le jour pour que je me mette à vivre. Attends-moi. Et si le soir vient avant que je ne soie, vive, j’attendrai la nuit et sa lune chuchotée. Alors au matin, je déploierai mes ailes. Attends-moi.

Il n’est pas besoin d’attendre le matin. Je laisserai le soleil te caresser. Je te regarderai croître par don. J’ai le temps. Tu es venu dans mon cœur fermé. Je t’ai regardé devenir de loin. Grâce à toi je suis papillon, je suis éternel et je porte ton nom. N’aie pas peur. Prends ton temps.

Il n’est pas besoin d’attendre le matin. Les papillons sont obstinés quand la vie a des couleurs de lune. Des parfums de lavande, des goûts de mirabelles, des stridulances de cigale, le velouté des pêches de vigne. Quand la vie palpite, les papillons sont impatients.

Alors il s’est suspendu dans le vide. Il n’a pas eu peur. Le sang a innervé ses plus fines ramures, ses chemins interdits, ses sentiers oubliés, ses portes dérobées. Le soleil l’a séché. Il a effleuré la pierre chaude, les pivoines paresseuses, les cheveux en broussaille et s’est élancé dans le ciel, éternel ...

C’était un samedi...ou presque.

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