La bicyclette de Simon

Texte récompensé par le prix Philippe Delerm 2005. Publié dans le recueil Nouvelles 2005, aux Editions du Valhermeil

Prix Delerm 2005 La bicyclette de Simon Prix Delerm 2003 Prix Delerm 2009

Je ne suis pas allé à son mariage. C’était trop tôt. Trop de sourires. Trop de bonheur. Trop de soleil et de musique. Trop.

Alors j’ai dit que je n’irais pas à son mariage. Il a dit : « t’es sur ? » J’ai dit : « oui » Il a dit : « Ok, c’est pas grave. » Pas grave.

Son mariage a eu lieu sans moi. Ils y sont tous allés, Yvan, Boris, pas moi. Natacha, Sacha, Johanna, pas moi. Je suis dingue de Marie Laforêt. C’était un samedi de mai. Mon frère en week-end. Mes parents à la campagne. J’étais seul avec son fantôme. Elle monte l’escalier. M’attend dans mon lit. Cueille une pivoine. Lou. Trop vivante. Alors je sors dans les rues. Elle m’accompagne. Elle. Ma Lou.

Et les autres. Tous les autres. Mes copains de fac, de musique, de folie. Yvan, Boris et moi….Tous les autres dansant au mariage de Simon. Ne m’appelez pas. Ne m’écrivez pas. Ne venez pas. Je reste seule avec ma Nine…

Trois semaines plus tard. L’été s’annonce. Nine a déserté ma chambre et ronronne sur le muret. Mes fantômes dansent encore dans le lointain. Je les croise au détour d’un buisson d’asphodèles. Lou et sa robe d’été que je n’aurai jamais vue. Lou mon amour d’automne qui ne fleurira  pas. J’aime ces rencontres. Je m’habitue à la présence d’un amour absent. J’y puise le soleil qui me pousse hors des draps. Lou ! L’hiver brillait et cet été me glace. J’aime ton amour absent ma Lou.  Ma plus que tout. Je sais qu’il fera mon chemin. Comme on aime une maladie ou une infirmité. Tu m’as aveuglé de ta lumière. Lou mon étoile. Désormais j’entends les trains venir de loin et toutes les notes des symphonies de Mozart. Lou mon après-midi. Ton rire m’a assourdi et désormais l’arc-en-ciel est multicolore. J’aime ton absence qui me rend sensible au moindre souffle de vent. Je sais que peut-être je me briserai. Lou. Mon récif. Mais je mourrai vivant de toi.

Ton fantôme est dans le jardin cet après-midi de juin, prés de Nine chauffée à blanc. Simon téléphone. Il va partir en voyage de noces et veut m’embrasser avant de partir. J’vais tout casser avant de partir, j’ai pas de passé, j’ai pas d’avenir. Balavoine aussi. Tu viens avec Valentine ? je viendrai seul en vélo  et Val nous rejoindra plus tard. D’accord Simon, je t’attends. On t’attend. Moi et mes fantômes.

Simon est arrivé en vélo vers trois heures. Une super bécane brillante neuve. L’idéal pour mes vacances en Ardèche, un tout terrain superbe. Où serons-nous, ma Lou, à la fin de l’été ? L’Auvergne avec toi sera plus verte. Elle entrera par tous les pores de ma peau. L’eau des volcans circulera dans mes veines. Mon absente.  Dans mon âme et mon sang, Col de la Croix Morand. Murat. Aussi.

Tu étais là. Et je devenais lumineux. Pour la première fois de ma vie. Trente ans. Pas de projecteur, pas de poudre aux yeux. Trente ans et ma nudité lumineuse. De Toi ma luciole. Je suis toujours là où tu n’es pas. Mais la lumière tremblotante de tes attentions éphémères me suivra partout. Mon éclaireuse obstinée. Lou.  Ma renaissance.

Simon a garé la bicyclette dans la cabane de jardin. On a parlé de Val et d’Istanbul. Pas de toi, mon jardin suspendu. Le temps n’est plus que bruissement d’abeille. Je n’avance plus dans l’année. J’aimerais te retrouver, Simon. Mais je ne peux revenir avant ma Lou. Tu comprends ? Avant nos éraflures, nos cris sur les murs. Avant ma Lou chaude d’hiver. Avant que je vive Simon, quand je me croyais vivant.

Je sais que je dois vous revenir, à toi, à ta Val fraîche épousée, à Yvan, Boris, Natacha, Sacha….parce qu’il n’y a pas d’après, ma cerise…il n’y a plus d’après, à Saint Germain…Béart, moins. Avant, je vivais. Aujourd’hui je suis vivant de ta seule absence. Et j’ai peur. J’ai peur même si je sais que tu coules en moi comme un fleuve intarissable et tumultueux. Toi, ma Lou, je ne veux pas risquer de te perdre pour un éclat de rire.

On a bu une bière sous la tonnelle. Val était arrivée.  Elle te regardait Simon. Elle ne regardait que toi. Lou, je suis orphelin de ton regard. Tu sais que je ne suis pas là, Simon. Et dans les yeux sombres de Val, je vois ton départ. On n’a pas parlé de ton mariage Simon, tu n’as rien demandé. Tu n’es plus là non plus mon frère. Nous n’existe plus. J’ai bien fait de ne pas venir.

Je rentre les verres. Vous vous levez. Les valises. Les parents à embrasser. Istanbul. Je comprends. Val m’embrasse et part vers la voiture. Attends, Simon, je t’ouvre la cabane au fond du jardin. Non, laisse tomber, le vélo, c’est mon cadeau, Tom, prends soin de toi, mon frère.

Simon rejoint Val. Leur klaxon s’éloigne. Je suis dans la cabane, devant mon nouveau vélo. Je pleure. Des larmes d’amitié et de naissance. Ca y est, Lou, j’ai traversé le fleuve tumultueux. Simon et sa bicyclette ont jeté un pont. Je t’ai franchi, mon aimée, mon humaine. Tu peux partir. Je t’ai dévorée, avalée, engloutie. Tu es mon héritage. Je peux reprendre la route. A bicyclette.

N° SIRET 499 649 259 R.C.S PONTOISE
© Jevousecris 2009-2016   |   La bicyclette de Simon - Prix Philippe Delerm 2005   |   Christine Dubois, Écrivain Public
Site internet réalisé par Kortechs